The Death of Pop – Interview de 2 frères passionnés de musique et cinéma

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the death of pop seconds

The Death of Pop est un groupe anglais mené par deux fères, Angus et Oliver James. Initialement assez orientés shoegaze et plutôt rock à guitare, leur troisième album sorti mi mars montre un son plus synthétique, mais toujours avec un sens des mélodies et un travail de songwriting remarquable.

Voilà l’occasion de discuter avec les deux frères pour comprendre comment est né ce nouvel album. Et je ne suis pas déçu, car cet échange est terriblement riche. Cela prouve à nouveau quand on creuse un peu, tout le travail qui peut être mené par un groupe pour faire un album. Album qui sera peut-être écouté distraitement ou balayé par la critique. Imaginez la sensation des artistes qui ont bossé des mois dessus. Mais là n’est pas le débat.
Plongez-vous donc dans les innombrables références musicales et cinématographiques de The Death of Pop, deux frères talentueux mais surtout passionnés et terriblement curieux, témoignant d’une culture musicale et cinématographique impressionnante. Vous pouvez aussi retrouver The Death of Pop dans la playlist rock indé de mars 2021.

Un nouvel album pour The Death of Pop

Comment vous sentez-vous en ces jours de sortie de votre album ?

Angus James : C’est une période intéressante pour sortir un disque vu qu’il n’y a aucune possibilité de faire de release party ou de concert. Cela dit, c’est cool de sortir un album parce que ça faisait quelques années qu’on n’avait plus sorti grand chose. On a hâte de pouvoir jouer ces chansons en live et on a la chance d’avoir un paquet de potes qui nous aident autour de cette sortie. 

Oliver James : On est toujours assez autonomes et indépendants pour la production et sans doute un peu à l’ouest sur comment faire les choses. Evidemment c’est difficile de sortir quelque chose en grande pompe en ce moment. En plus, il y a trop de bons disques ! Mais c’est une super période pour être branché musique. 
Quoi d’autre ? On est à chier sur Instagram. Alors qu’apparemment c’est important. C’est facile de publier de la musique en tant qu’amateurs et d’arriver à trouver un public sur internet. Et on a évolué pour vraiment apprécier la fanbase qu’on a construite au fil des années et on est reconnaissant de tous ceux qui nous disent apprécier notre musique. Recevoir des messages de gens du monde entier, c’est vraiment cool. Après c’est vrai que devoir parcourir tous les canaux officiels pour diffuser sa musique, c’est épuisant et il faut être beaucoup plus préparé que ce qu’on est. Mais on a de super soutiens comme nos bons potes de Discos de Kirlian et Hidden Bay qui ont sorti l’album. Et on ne peut pas négliger le fait qu’il y a une communauté incroyable de passionnés de musique qui écrivent sur le web et qui font toute la différence pour faire écouter de vieux ou nouveaux groupes. On a toujours été hyper DIY et je crois qu’aujourd’hui c’est devenu un prérequis. Ou alors on doit vraiment essayer d’arrêter de tout faire nous-mêmes (ce qui n’est pas prêt d’arriver) 

Comment décririez-vous votre album ?

OJ : pour nous, c’était un peu comme une remise à zéro. On l’a d’abord écrit et produit en tant que duo, comme lors de la première année du projet. On avait un peu arrêté de faire de trucs activement en tant que groupe. À la place, on a passé plus ou moins un an à traîner ensemble quand on pouvait et à faire des démos sans objectif précis. Donc j’espère que tu entends le son d’un groupe rajeuni ! On a essayé de faire un album de pop songs douces et catchy. C’est joyeux et triste à la fois. Ça semble familier mais tu n’arrives pas vraiment à dire clairement pourquoi. 

AJ : C’est sans doute la série de morceaux préférés que nous avons sortie là. Quand on les a réécoutés, ça sonnait vraiment comme un album. C’était un peu un défi parce qu’avant on avait plus l’habitude de sortir des singles et compilations. Là on s’est dit qu’il fallait que l’album fasse environ 30 min et c’était pas mal de travailler dans cette limite de temps. On avait aussi le choix de mettre 40 chansons sur l’album mais on a écrit de nouvelles chansons qu’on voulait inclure et c’était cool de mettre des nouveautés sur le disque. En ce moment on a plein de trucs en cours mais on n’arrête pas d’écrire des chansons. J’ai écrit Fade Away en l’imaginant comme morceau de clôture, mais une fois fini, il est vite devenu le morceau d’ouverture idéal. C’est cool de commencer un album avec un vrai nouveau morceau. 

Du shoegaze à la synth-pop

Votre son semble avoir évolué, passant de morceaux très guitares à quelque chose de beaucoup plus synthétique… 

OJ: On a pris le parti de faire confiance à notre instinct et ce qui nous vient spontanément quand on bosse ensemble. On ne passe pas autant de temps qu’on voudrait à faire de la musique alors c’est important de travailler sur ce qui nous fait triper ou qu’on trouve fun en ce moment. Là où on est bons, c’est quand on est détendus ou qu’on prend ça à la légère. Les chansons de Seconds, c’est vraiment ce qui nous ressemble sur les moments où on était ensemble et on a fini tout ça tranquillement. En fait je crois que c’est la première fois qu’on sort quelque chose de cohérent ! Je suis vraiment super content de combien de chansons on a écrites et même commencé à enregistrer en relâchant complètement la pression. Et je te garantis qu’on a plein de chansons à guitares qui arrivent bientôt. 
AJ: Je crois que l’écriture des chansons a toujours alterné entre l’écriture à la guitare et au piano. Avec cet album, la plupart des morceaux sont nés au piano et on a clairement mis l’accent sur des sons de claviers. Ces éléments ont toujours fait partie de notre son, mais c’est vrai que sur cet album, je crois qu’on a mis un peu plus de touche 80’s que sur les sorties précédentes. 

J’avoue que le son un peu dream-shoegaze de The Sun In My Eyes me manque un peu… Je suis totalement fan de cette captation vidéo :

AJ: on a bien quelques chansons qui sonnent un peu plus classique shoegaze et sont plus proches de notre son originel. C’est vrai qu’au début on nous a souvent parlé de Ride et Lush, ce qui est très chouette. Mais je pense que comme ça fait quelque temps qu’on sort des chansons, il fallait qu’on évolue un peu pour garder l’ensemble intéressant. On s’est aussi rendu compte que Sun In My Eyes était l’une de nos chansons les plus connues donc côté son, c’est toujours un bon point de départ. J’essaie toujours de faire des collages sonores noisy mais les résultats ne sont pas toujours dignes d’être publiés.  

OJ : Comme l’a dit Angus, on a dans les cartons des chansons qui sonnent comme ça. Comme on produit tout nous-mêmes, on s’éparpille facilement et on a toujours envie de continuer à explorer, tant au niveau du son que des types de chanson. Le projet, ça a toujours été de s’éclater et de voir ce qu’on peut faire en tant que groupe de rock. L’esthétique shoegaze est toujours passée après l’écriture. On a carrément envie de faire des chansons plus euphoriques ou chatoyantes. Disappear était la dernière chanson qu’on ait enregistrée pour l’album et bien qu’elle soit super pop, je pense qu’on refera des chansons avec de la bonne réverb comme ça. On a regardé il y a peu un documentaire qui s’appelle « The Atomic Cafe » qui regorge d’images flippantes d’annihilation nucléaire etc. On était plongé dans ces trucs là quand on a écrit The Sun in My Eyes en 2013. Je pense qu’on explorera cette nostalgie flippante bientôt…

Le film « Seconds » et la réaction de Brian Wilson

Justement, de quoi parlez-vous dans vos textes ? 

OJ: Le plus souvent, on chope des thèmes qu’on veut creuser en musique dans des films qu’on regarde ensemble quand on a l’occasion de se retrouver. Le titre de notre nouvel album nous est venu après avoir regardé le film « Seconds » de John Frankenheimer sorti en 1966. Il y a une sorte de légende urbaine autour de Brian Wilson qui aurait eu une drôle de réaction en regardant ce film et ça nous a visiblement intrigués. Mais le film en lui-même est un véritable trip, une horreur identitaire en mode claustrophobe avec une cinématographie grotesque assez paranoïaque. C’est un film à propos d’un homme profondément malheureux qui veut jeter sa vie et tout recommencer. Mais ça ne résout pas ses problèmes.  
Je pense que nous avons été vraiment surpris par la notion de regret qui est un sentiment douloureux, et par la question de savoir s’il est trop tard pour changer. Ce n’était pas vraiment une décision consciente, mais c’est certainement quelque chose qui se retrouve dans toutes les chansons de l’album. Même si nos paroles sont assez déprimantes, je pense qu’il y a une pointe d’optimisme. Regarder ce film nous a incité à écrire la chanson éponyme le lendemain, et tout le reste a suivi en l’espace d’un an.

The House That We Built est peut-être la chanson la plus prémonitoire et la plus actuelle que nous ayons écrite (ou peut-être qu’elle est juste l’une de celles qui ne parle pas simplement de nous-mêmes, de tomber amoureux ou de rupture). Cette chanson est clairement plus une prise en compte avec action / inaction face à des vérités qui nous dérangent ou à des problèmes qui nous dépassent. C’est facile de se cacher derrière l’ambiguïté, mais cela nous a semblé être un pas en avant dans notre composition.

Voilà aussi quelques films qu’on a regardés l’année où on écrivait « Seconds »

Le visage d’un autre de Hiroshi Teshigahara, 1966
Suture de Scott McGehee and David Siegel, 1993
Repulsion de Roman Polanski, 1965
Vampyr de Carl Theodor Dreyer, 1932
Europa de Lars Von Trier, 1991
La Nuit du Chasseur de Charles Laughton, 1955
Atman de Toshio Matsumoto, 1975
Young Einstein de Yahoo Serious, 1988
Nous, les vivants de Roy Andersson, 2007
La Jetée de Chris Marker, 1962
Synecdoche, New York de Charlie Kaufman, 2008
Safe de Todd Haynes, 1995
Appel d’urgence de Steve De Jarnatt, 1988
Rusty James de Francis Ford Coppola, 1983
Le Grand Amour de Pierre Étaix, 1969

AJ : au moment où on écrivait et enregistrait « Sun In My Eyes« , on regardait plein de films d’information publique: The War Game, Guide to Nuclear Armageddon and Threads. Il y a un film qui nous a scotché en termes de son et d’esthétique, c’est Rusty James (Rumble Fish en anglais). L’angle des années 80 sur ce genre noir a eu une grosse influence sur nous. Le film Seconds qu’Ollie a mentionné a vraiment joué un gros rôle et a été une grosse inspiration. Récemment, on a été scotché par un film tchèque qui s’appelle The Cremator. C’est génialement dark et c’est une comédie poignante de la Tchécoslovaquie avant l’invasion des nazis. Ca a foutu quelques coups au régime communiste de l’époque (1968) et a été interdit pendant longtemps. Il est superbement bien tourné et c’est vraiment un film frappant. Il faut dire que le plus gros du temps qu’on passe ensemble, c’est pour regarder des films jusqu’au petit matin…

Stereolab, Chris Cohen, Beach Boys et musiques de librairie

Quels sont les groupes ou albums que vous avez écoutés pendant l’écriture et l’enregistrement de l’album ? 

AJ: Voilà une parfaite excuse pour faire une liste exhaustive !
Guided By Voices et The Cleaners from Venus, c’est toujours un point de départ pour moi.

Under Pressure de Von Spar, c’est une grosse influence, la discographie de Chris Cohen est toujours en rotation lourde chez nous. Patrice Rushen, Men I Trust, Windows 96.

Et beaucoup de Holland des Beach Boys. Et l’album live « In Concert » de 1973. D’habitude je ne suis pas trop fan des albums live, mais sur celui-là, ils sont vraiment excellents. A trick of the tail et d’autres albums de Genesis de la fin des 70’s début 80. ‘Junior‘ de Corridor, Milton Nascimento,  Savage Progress – un groupe des 80’s complètement sous-estimé.

OJ: J’ai toujours un album de Marker Starling sous le coude. Je l’adore. J’espère vraiment pouvoir lui demander de chanter sur l’un de nos prochains disques. C’est clairement à lui que je pensais quand on a écrit The House That We Built.

Scritti Politti – Cupid & Psyche 85 – on n’arrête pas de l’écouter.

Steve McQueen et Jordan: The Comeback de Prefab Sprout. Des disques qu’on a beaucoup écoutés quand on faisait notre dernier EP Heads West et qui ne quittent plus ma platine depuis.

Black Phoenix de Mamii – Je ne me souviens pas comment je suis tombé dessus mais son morceau Nobody FM était l’un de mes préférés il y a quelques années et elle a continué à sortir des morceaux de ouf. Je suis totalement obsédé par ses harmonies vocales.

Margerine Eclipse de Stereolab

On écoute beaucoup de disques du label Bruton. Bruton Voices In Harmony fait partie des morceaux préférés qu’on n’arrête pas de chanter. On écoute beaucoup de musiques de librairie [les musiques de librairie ou de catalogue sont produites spécialement pour le cinéma, la télévision, la grande distribution. Un moyen d’ailleurs d’assurer certains revenus aux compositeurs.]

On a d’ailleurs fait une playlist de trucs qu’on écoutait en faisant l’album :

Dommage, il n’y a pas de groupes français. Est-ce qu’il y a des groupes français que vous aimez ?

AJ: On a toujours été de gros fans de groupes français. Air, Gong (on a le droit ?), Serge Gainsbourg. Mon père était à fond dans Alan Stivell et l’écoutait beaucoup quand j’étais gamin. En ce moment je suis vraiment dans Forever Pavot, Moodoid, Melody’s Echo Chamber et Juniore. Pierre de Greetings from the Beloved Ghosts aussi. Il s’est occupé de nous quand on a tourné en France en 2017. Un mec adorable. On adore un groupe qui s’appelle Alba Lua avec qui on a joué en Espagne en 2013, ils sont très forts. Hidden Bay, nos potes et label, sortent de super groupes. Ecoute Docks, Benjamin Belinska, Special Friend, et Camille Bénâtre. Ca vaut vraiment le détour. On espère vraiment pouvoir revenir en France pour jouer et passer du temps avec tout le monde.

OJ: Il y en a plein. Laetitia Sadier et Stereolab, c’est clairement une grosse influence. Récemment j’ai vraiment adoré Crocorama de Odessey & Oracle. Je suis un fan depuis longtemps de Sébastien Tellier. Air, j’adore la BO de Virgin Suicides. Gong en effet, ce n’est pas strictement un groupe français mais c’est canon. Elli et Jacno, « Main dans la main« . Quelqu’un a mis ça à une teuf chez Pierre après un concert qu’on avait fait à Rennes et tout le monde a commencé à danser. Et j’ai récolté un nouveau morceau favori. Plein de compositeurs de musiques de films comme Michel Legrand.

Je dois dire qu’il y a quelque chose que je n’ai pas trop aimé sur votre album : la batterie. Ca sonne très sourd. Comment avez-vous travaillé cette partie.

Oliver : ahah, on pensait avoir fait enfin un boulot à peu près correct de mixage de la batterie cette fois. Désolé que tu n’aies pas aimé. A l’époque de notre dernier EP Heads West, on nous a piqué des trucs dans notre voiture après un concert : tout notre merchandising ainsi que les cymbales de Thom. Financièrement, ça a été un gros coup dur et c’est clairement lié au fait qu’on n’ait rien sorti pendant un moment. On a utilisé ce qu’on pouvait pour la batterie sur cet album. On a tout recommencé en quelques sortes. On a énormément appris ces dernières années en production musicale et on a encore tellement de choses à apprendre. On adore jouer dans nos home studios et on espère pouvoir enregistrer des sons de batterie dignes de ce nom.

Alex: merci pour ta franchise ! Notre son de batterie n’est pas dans le top de la haute fidélité et ça vient du fait que c’est enregistré à la maison et qu’on n’a pas le meilleur matériel ni les meilleurs micros. J’aime vraiment ce son un peu assourdi avec un torchon ou un portefeuille. C’est peut-être ça le son sourd ! J’espère qu’on pourra améliorer ça la prochaine fois.

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