The Charlatans se sont fait connaître à la fin des années 90 avec l’excellent single The Only One I Know. Le premier album Some Friendly revendique assez clairement l’influence des Stone Roses, alors au sommet à cette époque. Et, alors que les Stone Roses déclinent doucement mais sûrement (embrouilles, deuxième album qui ne sort pas…), les Charlatans continuent leur route en sortant des albums tous les deux ans. 1997 signe la sortie de Tellin’ Stories, leur album le plus abouti considéré comme une référence aujourd’hui. Retour sur un accouchement pourtant tumultueux.
The Charlatans – Tellin’ Stories (Beggars Banquet, 1997)
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Le contexte : Knebworth, consécration ou coup de massue pour The Charlatans ?
Eté 1996, l’Oasismania est à son zénith. Les frères Gallagher s’affichent sur ce qui sera le plus grand concert de leur carrière : 2 concerts à Knebworth qui battent des records. 2,5 millions de personnes essaient d’obtenir des billets, soit 4% de la population totale du pays ! Ce record sera d’ailleurs challengé par les Stone Roses en 2012 : 220 000 billets vendus en 68 minutes pour leurs 3 concerts au Heaton Park de Manchester (j’y étais, chronique ici !).
Knebworth, c’est une sorte de festival mythique où de très grands noms ont rassemblé des foules : Queen, Pink Floyd… A l’affiche en 1996, la liste des groupes représente la crème du rock anglais du moment : The Prodigy, The Chemical Brothers, Ocean Colour Scene, Kula Shaker, The Manic Street Preachers et bien entendu les Charlatans. Deux soirs qui affichent 125 000 spectateurs chacun. Monumental. Quelque part, ces deux concerts annonçaient peut-être aussi le déclin d’Oasis. Comment auraient-ils pu être plus gros ? Si Oasis avait dû satisfaire les 2,5 millions de personnes, ils auraient pu faire 18 Knebworth ! Hallucinant.
L’actualité des Charlatans est dense. Ils sont entre deux albums : l’album éponyme sorti en 1995 et acclamé à juste titre par la critique et Tellin’ Stories qui sortira au printemps 1997. Mais alors que Knebworth doit s’annoncer comme un tournant dans la carrière des Charlatans, c’en est un autre qui s’affiche : la mort de Rob Collins, le claviériste qui a donné ce son d’orgue si caractéristique aux premiers albums du groupe. C’est un véritable coup de massue pour le groupe. Knebworth est le deuxième concert après mort de Rob. Une épreuve terrible pour les Charlatans qui se demandent même si le groupe va continuer à exister.
Les Charlatans doivent-ils continuer ?
En effet, le 21 juillet 1996, Rob rentre des studios Monnow Valley à Monmouth au Pays de Galles où le groupe enregistre les chansons de Tellin’ Stories. C’est aussi ici qu’a été enregistré leur album Up To Our Hips ou encore des albums des Manic Street Preachers ou des Super Furry Animals. Sa BMW dérape, heurte des voitures garées ça-et-là et atterrit dans un champ. Très alcoolisé et sans ceinture de sécurité, le clavier des Charlatans n’est plus. Le groupe doit alors faire son deuil alors que l’échéance de leur vie approche. Bobby Gillespie de Primal Scream suggère alors que leur claviériste Martin Duffy se hisse derrière les claviers des Charlatans en vue de 3 concerts : Loch Lomond le 4 août, Knebworth le 11 et le V96 Festival le 18 avec Paul Weller. La montagne semble énorme pour le groupe qui se demande s’il doit vraiment continuer. Quelles sont les options ? Le père de Rob leur confirme que ce dernier aurait voulu que les gars continuent l’aventure. Jeff Barrett, boss du label Heavenly les convainc aussi de continuer et de faire les deux derniers concerts prévus : Knebworth et le V96.
We are Fuckin’ Rock
Le jour J, les Charlatans arrivent sur scène en hélicoptère. Du jamais vu pour eux. L’émotion est à son comble, devant un public qui semble totalement avec eux et conscient de l’épreuve que traverse le groupe. Oasis aussi puisque Liam dédicacera 2 chansons à Rob Collins : Live Forever et un « live forever, mate » en intro de Cast No Shadow. En quittant la scène, Tim sent qu’il a tout donné et veut arrêter le groupe. D’ailleurs, les membres mettent beaucoup de temps à quitter la scène, se disant que c’est peut-être leur dernier concert. Tim lancera finalement : « We’ve lost our mate. There will be no change. We are Fuckin’ Rock » Et les sessions d’enregistrement de Tellin’ Stories vont continuer.
Bicarbonate au micro-ondes
A la mort de Rob, One To Another était déjà bouclée, North Country Boy, Tellin’ Stories et How High l’étaient quasiment. Ces trois dernières ont été enregistrées lors de la première session. Le groupe sentait qu’il accouchait là d’un très bon disque.
Mais le contexte qui suit rend forcément les choses beaucoup plus compliquées. Tim avoue avoir beaucoup pleuré pendant l’enregistrement de Tellin’ Stories, peut-être aussi à cause de ses redescentes de prise de coke. D’ailleurs, c’est depuis la mort de Rob que Tim est clean sur ce plan là (enfin, ses propres versions varient, puisqu’il confiait à Merseyside dans cette interview qu’il était clean depuis 2006). Pourtant, beaucoup de drogues ont circulé pendant l’enregistrement de Tellin’ Stories. Rob en était d’ailleurs un gros consommateur (il avait même appris à faire du crack en mélangeant de la cocaïne et du bicarbonate au micro-ondes !) et les sessions ne se passaient pas très bien. En effet, Rob arrangeait sa présence en studio en fonction de ses heures de clubbing à Bristol ou de l’horaire de ses dealers de Swansea ou Londres. Du coup, s’il n’aimait pas les chansons que les autres avaient enregistrées, il les saccageait. S’il les aimait, il était trop défoncé pour assurer. Malgré ses frasques et son image de bad boy (il avait fait de la prison en 94 comme complice d’un vol à main armée), l’aîné des Charlatans était une sorte de grand frère pour Tim. Un vrai compagnon de route. Même si la mort de leur compagnon de route a été un choc terrible, Tim avait décidé avec Mark Collins (guitare) que Rob devait quitter le groupe… Le destin en décida autrement. Rob aura même une chanson à son nom en fin d’album (Rob Theme)
Ecstasy et Cypress Hill
Concernant la succession de Rob, c’est donc Martin Duffy de Primal Scream qui prend le relais. Tim et Martin (à ne pas confondre avec Martin Blunt, le bassiste) s’étaient déjà rencontrés alors qu’ils étaient sous ecstasy lors d’un concert de Cypress Hill à Amsterdam ! Quand ils se sont retrouvés pour les répétitions, le courant est tout de suite passé. C’est donc un nouvel élan qui a été donné lors de ces sessions et la présence de Martin a fait un grand bien au groupe à cette période. Dans la douleur, le groupe boucle son album où Rob sera crédité sur toutes les chansons. Tom Rowlands des Chemical Brothers intervient aussi pour quelques « loops » dont ceux de One To Another qui sort en single deux semaines après Knebworth et se classe troisième des charts. North Country Boy est le deuxième single qui sort début avril, trois semaines avant l’album. Au final, Tellin’ Stories sera le troisième album classé numéro 1 dans les charts anglais (comme Some Friendly, le premier album, et l’album éponyme qui précède Tellin’ Stories). Martin Duffy termine les sessions d’enregistrement avant que le groupe recrute Tony Rogers, d’abord pour une tournée, puis en tant que membre officiel.
The Charlatans, une aventure tumultueuse
Aujourd’hui les Charlatans continuent leur aventure tumultueuse. En août 2013, c’est le batteur Jon Brookes qui meurt d’une tumeur au cerveau. Encore un coup dur pour le groupe dont le line-up ne change que pour ces raisons extrêmes et imprévisibles. Assez rare dans le monde du rock sur des groupes de plus de 20 ans pour être souligné (même si ce n’est pas une exception, à l’instar de Radiohead ou Blur dont les membres n’ont pas changé en plus de 20 ans de carrière). La musique des Charlatans a évolué depuis Tellin’ Stories, qui reste malgré tout leur meilleur album à ce jour. Si Tim Burgess a fait des escapades en tant qu’interprète solo (avec sa voix reconnaissable entre mille), le groupe a toujours continué avec un album quasiment tous les deux ans. Les années 2000-2010 ne sont pas forcément celles qui révèlent les meilleurs albums, mais le renouveau affiché par Modern Nature en 2015 est plutôt enthousiasmant. Le nouvel album (Different Days est prévu pour le 26 mai avec une pléiade de collaborations (Pete Salisbury de The Verve, Johnny Marr…). Et depuis, One To Antother est devenu le générique de la série anglaise My Fat Diary !
A noter qu’un édition anniversaire est sortie pour les 15 ans de Tellin’ Stories avec l’album remasterisé (selon les sources analogiques de l’époque), des faces B et une « early version » de Don’t Need a Gun (connue à l’origine sous le nom de Rainbow Chasing). Quatre de ces huit faces B se retrouveront sur la compilation de faces B « Songs From The Other Side« . Et bien sûr le documentaire Mountain Picnic Blues qui retrace l’enregistrement de Tellin’ Stories.
Alors, oui, je n’ai pas écrit tout ça sans support. Voilà les ressources sur lesquelles j’ai passé des dizaines d’heures pour écrire cet article :