Première interview sur Merseyside.fr ! Nous voici en compagnie de Mathieu Persan, songwriter français autoproduit qui propose son album en téléchargement gratuit et légal. Twitter, Hadopi, Divine comedy et prise de son, la vie artistique de Mathieu Persan passée à la merseymoulinette !
Merseyside t’a découvert en suivant ton profil Twitter. Es-tu particulièrement branché sur les nouvelles technologies et les réseaux sociaux ou tu as créé ton compte pour faire ta promo ?
J’ai créé mon compte par curiosité. On a beaucoup parlé de twitter ces dernier temps et je dois avouer qu’avant d’essayer j’étais un peu sceptique. En puis en découvrant les clients Twitter sur mon téléphone et quelques personnes intéressantes à suivre, j’ai compris la puissance de cet outil.
Je m’en sers maintenant beaucoup pour communiquer et les résultats sont assez fulgurants : 3000 téléchargements de mon album en 3 mois…
En tant qu’artiste, que penses-tu d’Hadopi ? A ton avis, les répressions et sanctions prévues permettent-elles vraiment de défendre les artistes ?
Je dois avouer que je n’ai pas vraiment tout suivi à ce sujet… La seule chose que je puisse dire c’est que je suis convaincu que la répression ou les sanctions ne serviront à rien et desserviront sans doute les artistes peu connus pour qui le web et la libre transmission des contenus est sans doute la meilleure promo. A part en vendant énormément de disques, l’artiste ne peut en aucun cas vivre des ventes de disques. Pour les artistes peu connus, le piratage a donc peu de conséquences directes. En revanche, c’est un danger pour la survie du label qui le produit.
Quel serait alors le modèle à adopter ?
Il faut donc penser à un modèle qui permettra aux artistes d’être produits et de vivre. Il me semble qu’il y a une immense refonte du système qui doit se faire et qui n’est malheureusement toujours pas enclenchée. Elle aurait d’ailleurs dû commencer il y a plus de 10 ans mais les majors ont préféré vivre sur leur nuage et continuer à profiter des gens. Je ne pense pas qu’il y ait de solution simple et évidente à ce problème. Nous verrons où nous en serons dans 10 ans !
Justement, tu t’inscris dans une logique à contre-courant puisque tu proposes ton album en téléchargement gratuit et parfaitement légal sur ton site internet. Comment t’es venue cette idée… Tu t’es calé sur Radiohead lors de la sortie de In Rainbows ? Tu aurais pu le proposer moyennant une petite contribution, non ?
A contre-courant ? Tout dépend de quel point de vue on se place… En fait, j’ai vraiment l’impression que pour les gens de 16-18 ans maintenant, la musique payante, ce n’est pas « naturel ». Et puis de plus en plus d’artistes se lancent dans la gratuité d’une façon ou d’une autre. La différence c’est qu’effectivement, je donne des fichiers de qualité optimale avec un souci de présentation (fichier déjà tagués en MP3 320 kbps, pochette incluse, etc…)
En ce qui concerne le choix de la gratuité, je dois avouer que je n’en suis pas arrivé là par stratégie mais plus par évolution personnelle. J’ai 30 ans, ça fait huit ans que je fais de la musique sérieusement et je sais que je ne gagnerai jamais ma vie avec ça. Je sais aussi que je ne serais jamais une rock-star et je m’adapte. Du coup, j’ai un boulot pour vivre, et la musique n’est là que pour le plaisir. Et le plaisir, il ne vient pas en regardant combien de bénéficies on a dégagé sur un relevé SACEM, mais plutôt combien de personnes ont aimé ma musique. Je préfère toucher beaucoup de gens et ne rien gagner que peu de gens et gagner un peu de sous. C’est artistiquement beaucoup plus valorisant.
Après, quand tu parles de petite contribution, je ne suis pas sûr que le système fonctionne. Non pas que les gens soient radins, mais c’est juste que c’est une barrière entre la musique et l’auditeur. Je crois qu’il est très important que le chemin soit le plus direct possible. A partir du moment où l’auditeur doit sortir sa carte bleue ou se logger sous Paypal pour accéder à la musique, c’est un frein énorme. Le lien direct vers le fichier musical permet de profiter de la curiosité naturelle des gens.
Sinon, en ce qui concerne Radiohead, leur philosophie est, il me semble, tout à fait différente. En plus d’être de très bons musiciens, je les soupçonne d’être de très bons commerciaux. En effet, ce coup médiatique leur a surtout permis de vendre beaucoup de disques. Et puis la qualité sonore de ce qu’ils proposaient à 1 euro était tout de même assez médiocre.
As-tu eu des dons pour ton album ?
Oui j’ai eu quelques dons mais rien de substantiel…
As-tu essayé de passer par des sites comme MyMajorCompany ?
Les sites comme MyMajorCompany ne sont pas vraiment intéressants en ce qui me concerne. Il ne faut pas se leurrer, il y a très peu de gens en France qui s’intéressent à la musique indépendante. Les artistes qui sont sortis de là ressemblent quand même bien à des produits de majors… (Ndlr : pour l’anecdote, notons que Grégoire, premier artiste signé sur MyMajorCompany, traînait aussi sur les bancs de la fac où les membres de Merseyside se sont rencontrés !) De toute façon quand on voit qu’ils ont besoin de 50 000 euros pour faire un disque, on se dit qu’il y a un problème. Pour 10 000 euros, je fais le disque de mes rêves !
Parlons musique justement. A l’écoute de l’album, ta musique m’a fait penser à Divine Comedy, Beth Orton, aux Tindersticks, parfois même à The Auteurs (Does It Make You Feel Sad ?) ou aux débuts de Radiohead (Free). Ce sont des influences que tu revendiques ?
C’est très difficile de savoir ce qui influence… Et encore plus de revendiquer quoi que ce soit. J’ai bien trop de respect pour The Divine Comedy ou les Beatles pour ça !
Divine Comedy, c’est le groupe qui m’a réellement donné envie de faire de la musique. Neil Hannon est sans doute la seule personne à réussir à coller des frissons avec des chansons gaies. C’est à mon sens quelque chose de très difficile et une de ses plus grandes qualités.
Beth Orton et les Tindersticks, je ne connais presque pas (voire pas du tout…. Honte à moi.)
Radiohead, je me suis arrêté à OK Computer, après je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai plus eu envie. Je loupe sûrement des choses formidables mais ils ne m’ont plus attiré. En fait je crois que je commence à en avoir assez de la musique plombante. Même si c’est parfois très beau…
The Auteurs, j’ai beaucoup aimé l’album tout noir (je ne me souviens plus du titre…). Il y a vraiment de très belles chansons, bien écrites. C’est de très bon goût. Sans doute trop pour avoir beaucoup de succès ! (ndlr : il s’agit de l’album New Wave, lire notre article)
Sinon dans les artistes que tu n’as pas cités et qui m’ont énormément marqué musicalement, il y a évidemment les Beatles, Elliott Smith, les Pixies, Jeff Buckley, Andrew Bird, le Velvet…
Certaines chansons font preuve d’un beau travail sur les arrangements et l’orchestration (End par exemple). Est-ce difficile à mettre en place ?
Non, mais c’est beaucoup de travail. Comme je travaille seul et que je ne suis pas Mozart, je dois tester mes idées pour me rendre compte de ce que ça donne. Alors quand il y a deux guitares, une basse, du piano, des cuivres et des cordes, ça peut prendre pas mal de temps !
Après, j’ai un goût pour ce genre d’arrangements orchestraux. J’aime les instruments. En puis orchestrer, c’est pour moi comme jouer aux legos. Quand toutes les parties s’emboîtent bien pour former un bel objet musical, c’est une vraie satisfaction.
Je dois aussi avouer que j’ai besoin d’avoir travaillé longtemps sur une chanson pour en être content. Sinon, j’ai l’impression que c’est trop facile, trop évident, et donc pas assez intéressant.
Le premier morceau dont tu aies accouché par toi-même est « Does It Make You Feel Sad ?« . Avec quoi l’as-tu enregistré concrètement ? Car rappelons que tu as menti à ton banquier, lui faisant croire que tu voulais acheter une voiture pour qu’il daigne t’accorder un crédit !
Oui, c’est une drôle d’histoire ! Après la compilation « I hear voices » sur laquelle j’avais un titre, je me suis lancé dans l’autoproduction d’un album. J’ai donc demandé un prêt auto à la banque pour pouvoir acheter du matériel.
J’avais acheté à l’époque deux bonnes enceintes de monitoring, un bon micro, un préampli, une carte son, et un ordinateur. J’ai enregistré tout l’album « Does It Make You Feel Sad ? » avec ça. Petit à petit j’ai investi dans du meilleur matériel, nouveaux préamp, convertisseurs, micros… Je suis devenu un vrai geek des machines ! C’est un peu une quête infinie pour trouver le bon son. Je suis toujours à la recherche du micro qui collera parfaitement à ma voix.
Cela dit, dernièrement je me suis un peu calmé. J’ai plutôt investi dans des instruments. Je me dis maintenant qu’il vaut mieux une bonne guitare enregistrée avec un mauvais micro qu’une mauvaise guitare enregistrée par un bon micro.
Tu expliques sur ton site pourquoi tu chantes en anglais, je suppose que toute la base de tes chansons est fondée sur la musique. Comment procèdes-tu pour composer ?
Je dirais que l’inspiration première est tout à fait inexplicable ; c’est quelque chose qui vient dans la tête ou dans les doigts, sans qu’on sache d’où ça vient… De plus en plus j’arrive à trouver des idées sans avoir d’instrument sur moi, dans la tête. Sinon, le plus souvent, c’est en jouant de la guitare sans trop penser à ce que je fais et en chantonnant dans ma tête.
Une fois l’idée arrivée, c’est juste de la réflexion et du travail. Organiser les différentes parties, les arrangements, faire des choix parmi toutes les idées, choisir les bons instruments. Le plus dur à ce stade est de savoir s’arrêter !
Enfin, c’est toujours le texte qui vient en dernier. J’aime croire que ça permet d’être plus musical…
Tu as travaillé avec Sinclair lors de l’enregistrement de ton premier album. Ce n’est pourtant pas trop ta tasse de thé, si ?
Non, c’est pas le même Sinclair ! Sinclair est un gars qui travaillait chez Record Makers à l’époque…
Tu as des projets à venir, tu peux nous en dire un peu plus ?
Oui, je me lance dans la gratuité la plus totale : j’ai décidé de publier de nouvelles chansons gratuitement et régulièrement sur mon site. En fait, à chaque fois qu’une chanson aura été téléchargée 2000 fois, j’en posterai une nouvelle.
L’idée, c’est que ce n’est plus moi qui impose le rythme des nouvelles chansons mais les auditeurs. C’est un peu gagnant-gagnant : les gens qui aiment ont intérêt à faire de la promo, et moi, ça me motive pour écrire de nouveaux titres et les enregistrer. J’espère avec ce système me faire connaître un peu plus largement.
Après, j’aimerais bien pouvoir continuer à faire des concerts mais c’est de plus en plus dur… J’espère qu’avec un petit public, et une petite reconnaissance sur internet grâce à cette opération, j’aurais des opportunités pour jouer plus souvent et dans de meilleures conditions !
Tu as déjà rencontré du beau monde dans le milieu – Stéphane Briat (Air, Phoenix), Denis Cazajeux (Overhead, Tanger), Yann Arnaud (Syd Matters, Sébastien Schuller) – ça t’a ouvert des portes ?
Pas vraiment mais ça m’a appris beaucoup de choses ! Travailler avec des gens avec qui on s’entend bien artistiquement est vraiment très enrichissant. Ils avaient une vision plus fraîche de mes chansons, un recul que je n’avais pas. Je ne regrette vraiment pas de leur avoir fait confiance.
Si j’ai un regret, c’est qu’il y a très peu de chances que je puisse retravailler comme cela à l’avenir. Si j’avais pu travailler avec eux, c’est parce que j’avais un label. Maintenant, comme je dois tout autoproduire, je n’ai pas les moyens de me payer leurs services. Par contre, comme ils sont vraiment très sympas, je peux toujours leur demander conseil.
Avec qui rêverais-tu de travailler ?
Retravailler avec la même équipe, ça me conviendrait très bien !
Sinon, dans les fantasmes les plus fous, je ferais bien un disque en duo avec Nina Persson (chanteuse des Cardigans, ndlr), produit par Nigel Godrich.
As-tu écouté les albums remasterisés des Beatles ? Toi qui es proche du travail de prise de son, qu’en penses-tu ?
Non, je n’ai pas encore eu le temps… Je trouve le prix un peu élevé et je n’ai pas encore craqué. J’ai entendu des extraits sur internet et ça m’a l’air franchement bien. C’est vrai que les CD des années 80 manquaient vraiment de chaleur et ce que j’ai entendu se rapproche vraiment des vinyles. Et puis, ce qui est vraiment appréciable et rare de nos jours, c’est le respect de la dynamique : les chansons ne sont pas surcompressées comme c’est malheureusement la mode depuis quelques années, ce qui enlève toute nuance aux chansons.
Un mot sur la séparation d’Oasis ?
Oasis, je n’ai jamais acheté de disque mais il y quelques chansons qui sont quand même devenues des standards (sur les deux premiers disques). C’est toujours un peu triste ce genre d’histoire mais en même temps, si Noel peut enfin faire son disque solo, ça pourrait peut-être être pas mal ?
Mathieu Persan, musicien devenu graphiste
Mathieu Persan est désormais graphiste, illustrateur. Il a d’ailleurs réalisé une très belle affiche ici lors de l’épidémie de coronavirus.
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