Les Libertines sont en tournée en France actuellement, et les avis sur leurs prestations sont partagés. Trop mous, plus comme avant, trop propres. Admettons. Mais une question fondamentale se pose : peut-on ou même doit-on attendre la même prestation qu’il y a 25 ans ? Je vous livre mon point de vue.
Contenus de la page
Les Libertines à l’Aéronef de Lille : énergique et millimétré
J’ai vu les Libertines pour la première fois samedi dernier à l’Aéronef de Lille. Eh oui, je ne les ai pas vu « à la grande époque », jamais vu Pete en solo, pas plus avec les Babyshambles ou en duo avec Frédéric Lo. Alors que j’ai suivi toute leur discographie, avec notamment le prochain album à paraître en fin de semaine. C’était donc un vrai dépucelage Libertin pour moi et je dois avouer que j’ai trouvé ça très bien. Rock énergique, morceaux en place, bien répétés, un set efficace avec des refrains fédérateurs, un public chaud. Pete Doherty en costard so british, Carl Barât en cuir cintré et casquette « Peaky Blinders » sont le centre du concert. Quoique… John Hassall à la basse semble ravi d’être là à se dandiner comme un joueur de reggae et Gary Powell est absolument phénoménal à la batterie. Ça tape dur, avec un jeu précis. Les tubes s’enchaînent sans répit et c’est peut-être là que je peux y trouver à redire. Pete Doherty est un grand sensible et je m’attendais à plus d’interaction avec le public, outre son interprétation de Une Souris Verte, en français. Non. Pete fait son boulot. Le set a été exécuté de façon millimétrée : une heure chrono et un rappel énergique de vingt minutes, un salut bras dessus, bras dessous. Emballé, c’est pesé. Faut-il vraiment s’en plaindre ?
Les Libertines : les voir en concert relève presque du miracle
A la fin du concert, les fans ont adoré, d’autres restent mitigés. Quand on lit les live reports, ils ne sont pas les seuls à penser la même chose : les Libertines ont perdu leur verve d’antan, c’est incontestable. Le duo Pete Doherty/Carl Barât n’a plus la même magie, la même efficacité. Mais ce discours m’irrite un peu, même si je le comprends. Une fois de plus, cet avis est à remettre dans le contexte de mon premier concert des Libertines. Mais sincèrement, n’y a-t-il pas un peu de naïveté à attendre le set d’il y a 20 ans ? 20 ans non, mais simplement octobre 2022 soit même pas 18 mois pour la tournée tiroir-caisse des vingt ans de Up The Bracket ? Peut-être, je n’y étais pas. Toutefois, je pense qu’on peut aussi prendre un peu de recul.
Les Libertines reviennent de loin et le fait qu’ils soient encore là aujourd’hui relève certainement du miracle. N’oublions pas qu’après le succès de Up The Bracket en 2002, le groupe se séparait déjà fin 2004 après avoir sorti leur excellent deuxième album dans un climat ultra tendu entre les deux frontmen et que Pete ait eu le temps de cambrioler l’appartement de son pote Carl. Eh ouais, c’était ça être rock’n’roll en 2004. Un groupe éphémère qui a marqué l’histoire du rock anglais (qui avait sans doute besoin de trouver une réponse à la déferlante Strokes), avant que Pete Doherty ne soit tristement célèbre pour ses cures de désintoxication, lui valant donc une exclusion des Libertines. La suite s’écrit en pointillé entre les bons disques des Babyshambles, ses projets solos, la drogue, la prison, le harcèlement des tabloïds anglais… Doherty aurait pu être mort et enterré depuis bien longtemps mais fait signe d’une exemplaire productivité dans un tel contexte. Carl de son côté avait formé les Dirty Pretty Things qui se sont séparés au bout de trois ans, avant même la reformation des Libertines. Et c’est donc en 2014 que les Libertines ont ressuscité avec des concerts et un excellent album en 2015 (Anthems for Doomed Youth).
- Ca peut aussi te plaire : 4 places à gagner pour le spectacle Little Rock Story (fin du concours le 9/03/2024)
The Libertines en concert : bordélique, désordonné (mais ça, c’était avant)
Dire que les Libertines sont trop clean semble quasiment irréel tant « Libertines » et « clean » ne vont pas ensemble. A 45 ans avec une vie si tumultueuse, est-ce que le duo Doherty/Barât, finalement inséparable, a toujours envie de jouer comme avant ? Pas sûr. Ou alors le veulent-ils sans y parvenir ? Peut-être.
La page facebook Chroniques Soniques s’en plein un peu : Non, l’esprit punk, cette urgence Rock’n’Roll, et les potentiels débordements ne sont plus là et c’est un groupe bien trop en place qui joue devant nous. Le concert est certes agréable mais les Libertines n’offrent malheureusement rien de mémorable. Un concert n’est pas tout le temps mémorable. Parfois un bon set carré bien foutu fait le job !
Mais c’est tout de même un comble de presque leur reprocher d‘arriver 10 minutes en retard sur scène avec un look daté et de faire des concerts carrés, mais trop sages comme le note le néanmoins excellent site Benzine Mag: « 21h40, et Pete, Carl, John et Gary apparaissent enfin, avec un look prolo (du siècle dernier) à casquette pour les trois frontmen (…) Les lads vont nous offrir une heure et quart d’un concert assez impeccable – la bonne tenue d’un Pete Doherty en forme n’y étant pas pour rien – mais également bien trop sage. Je comprends et respecte cet avis. Mais il y a quelques années, le public se demandait même si le concert allait avoir lieu, si Pete ne serait pas trop défoncé pour assurer le show. Doit-on déplorer qu’ils soient trop sages ? Petit rappel si besoin :
Les concerts des Libertines ont toujours été sujets à de nombreuses interrogations, étant capables du pire comme du meilleur comme en attestent quelques live reports dès les premières années du groupe.
2004 : « tournée chaotique », « pas punk, ni dans la musique, ni dans l’attitude »
De ce qu’on voit, il n’y a rien de punk. Ni dans la musique, ni dans l’attitude. Point de sauvagerie, point d’arrachement vocal. Absence de férocité, show en berne, ca frise la tromperie sur marchandise… C’est un brin sévère mais les Libertines me sont apparus taillés dans un bois encore trop tendre pour être à la hauteur de la réputation qu’on leur prête. (Live report de Xsilence)
Parallèlement, Pete Doherty a terminé une tournée chaotique en Grande-Bretagne avec son autre groupe, Babyshambles, tournée au cours de laquelle Doherty reprend quelques chansons des Libertines. (Chronique des Inrocks)
With or without Pete, The Libertines are a band that has the potential to ignite any stage, and they set the Paradise on fire tonight. (Avec ou sans Pete, The Libertines est un groupe qui a le potentiel d’enflammer n’importe quelle scène, et ce soir, ils ont mis le feu au Paradise.) (Live report du site Cluas en octobre 2004 à Boston)
2014 : « La magie n’a pas opéré »
Les Libertines ont eu beau s’appliquer, soyons honnêtes : la magie n’a pas opéré. (…) Etait-ce le fait que Pete ne sache au final pas vraiment chanter ? Ou encore n’ai-je pas ressenti de magie car trop consciente – et gênée – des intentions purement cupides de cette tournée-événement ? (Live report de Indiepoprock en septembre 2014)
Pour le même concert : Lorsque Carl Barât reprend les dernières paroles de I Get Along, l’émotion est palpable et notre rédactrice manque de verser une larme. La perspective de revoir un concert des Libertines est encore incertaine. (Live report du même concert par Melty)
2015 : « extrêmement mal coordonnés«
The band are sloppy, ponderous and on occasion excruciatingly out of synch. Pete Doherty expresses his delight that Shane MacGowan has shown up, but apparently he has fallen asleep. It is easy to see why. (Le groupe est négligé, lourd et parfois extrêmement mal coordonné. Pete Doherty montre qu’il est ravi que Shane MacGowan soit arrivé, mais apparemment, il s’est endormi. On comprend facilement pourquoi.) (Live Report du premier concert des Libertines à Dublin)
2016 : « il faut avouer que le show des Libertines est assez bordélique »
Ce sont le genre de mecs qui peuvent délivrer des performances surpuissantes un jour, et le lendemain être médiocre à cause d’un Doherty trop saoul pour assurer ou d’instrus mal accordés. (…) À certains moments, il faut avouer que le show des Libertines est assez bordélique. Les mecs se parlent entre les chansons, comme s’ils ne savaient pas quelle chanson jouer après, réaccordent leur guitare et s’avancent en devant de scène comme pour faire diversion. Mais ce côté désordonné leur donne une spontanéité irrésistible, et fait qu’aucun show des Libertines ne se ressemblent vu qu’eux-mêmes ne savent pas vraiment comment il va se dérouler. (Live Report des Vieilles Charrues 2016)
The Libertines en concert en 2024 : trop sages, trop clean ?
Donc en 2024, on vient faire la fine bouche en disant que c’était trop sage ? Le show est carré, énergique, bien rodé. On ne va quand même pas s’en plaindre comme on se plaindrait que les mecs aient bâclé le concert en 25 minutes ?! Les mecs font leur taf, voilà, ils sont rangés, clean. Alors ne boudons pas notre plaisir de voir une formation qui assure, a fortiori quand on sait le pire dont elle est capable. Il manque peut-être la petite étincelle d’antan, et alors ? Ca arrive, et peut-être que la tournée suivante sera différente. Et le jour où les Libertines n’existeront définitivement plus, peut-être se dira-t-on que le groupe avait enfin réussi à livrer des sets carrés et professionnels comme on peut en attendre d’un groupe de cette trempe. Et on parlera peut-être de la renaissance de Pete. Alors réjouissons-nous aujourd’hui de le voir en forme avant de dire que c’était mieux avant. Et si tu es vraiment en manque, alors repasse-toi le concert de l’Astoria en 2004 !
Le rock qui suinte existe-t-il toujours ?
Le cas des Libertines – si tant est que ce soit un « cas » – est loin d’être isolé. On peut dire la même chose des frères Reid à la tête de The Jesus and Mary Chain, dont le prochain album sort en fin de semaine. Dans les années 80, les mecs se tapaient sur la gueule sur scène, déclenchaient parfois des émeutes dans la salle, faisaient des concerts de 10 min de larsen ou jouaient dos au public. Pour les avoir vus lors de leur précédente tournée, ce temps est bien révolu et les gars livrent un set efficace, sans fioritures.
Et en 2024 on trouve que les Libertines sont chiants de faire un concert trop carré ? Ben ouais, c’est pas assez rock’n’roll mais c’est peut-être la triste réalité de certaines gloires d’antan qui ne veulent/peuvent plus et surtout qui évoluent ! Les Pixies sont passés par là, on leur reproche parfois de s’être assagis, peut-être parce que sans Kim Deal, ce n’est plus les Pixies ? (Ils viennent d’annoncer le départ de leur bassiste depuis 10 ans, Paz Lenchantin, ce sera une bonne occasion de relancer le débat sur ce que sont vraiment les Pixies) Est-ce pour autant une régression ? Ca se passe bien avec les frères Gallagher car ils jouent chacun de leur côté, mais honnêtement, un concert de Noel Gallagher, c’est chiant ! Liam Gallagher, c’est une autre histoire : il beugle et provoque, sort des punchlines mémorables, alors ça fait le job le temps d’un concert.
Dans un autre genre, les Arctic Monkeys se la jouent crooner avec Alex Turner qui n’a même pas 40 balais, eux qui faisaient trembler les salles de concert à leurs débuts en 2005/2007. Et ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien. On aime ou non, mais c’est aussi ça l’évolution d’un groupe.
En parallèle il y a une offre importante pour ceux qui veulent du rock’n’roll qui suinte et donc il faut peut-être ranger les Libertines et autres groupes de plus de 20 ans dans une autre catégorie pour ses prestations live, tout simplement. Et s’attendre à un bon concert sans pour autant se prendre une claque suffirait sans doute à faire remonter le taux de satisfaction à la fin. Et sinon, allez aux concerts de Idles (quoique.. avec l’album Tangk, est-ce que le jeu de scène sera différent ?), Squid ou Shame.
Ces groupes qui envoient du lourd sur scène depuis 30 ans
Pour autant, tout le monde ne prend pas la même tournure. Certains artistes prennent plaisir à avoir la même énergie qu’il y a 10, 20 ou 40 ans comme les Oh Sees, The Hives, Depeche Mode, Suede, The Darkness, AC/DC… Faut-il trouver aussi qu’Angus Young n’a plus l’énergie de ses 25 ans ? Peut-être, et pourtant le bonhomme donne tout sur scène pour assurer ce qui a fait la marque de fabrique du groupe. A l’inverse, on reproche parfois à Keith Richards d’être cramé, mais finalement sa place aux côtés de la bête de scène qu’est Mick Jagger le rend soit légitime, soit – au contraire – totalement fini. Question de point de vue.
Bien sûr, on a le droit de penser qu’un concert était mieux qu’un autre, qu’on a senti le groupe plus en forme qu’une autre fois. Heureusement ! Mais je pense qu’il faut aussi essayer de laisser de côté les expériences du passé pour profiter du moment présent sans forcément comparer. Et donc prendre le plaisir tel qu’il est livré par le groupe. Et si le plaisir n’est pas là, il faudra miser sur un autre groupe la prochaine fois.
Pete Doherty/Carl Barât, toxiques pour les Libertines ?
Je ne peux que vous conseiller la vidéo de la chaîne Tangerine sur le duo de frontmen des Libertines ou encore le très bon documentaire sur la carrière de Pete Doherty.
A lire aussi
- Olivier Rocabois – The Afternoon of our Lives – Album gargantuesque de pop 60’s
- The Death of Pop – FLOG – Fond de shoegaze pour harmonies vocales
- Nouveau single, album et tournée 2024 pour Nada Surf
- Nouveau single et album pour Olivier Rocabois (pop 60’s)
- Penny Arcade – « Blackwater Collage » – Quand les Proper Ornaments rencontrent le Velvet et Jesus & Mary Chain
[…] plus cette petite étincelle de naïveté qui vous faisait voyager il y 20 ans ! Eh oui, les Libertines sont peut-être trop mous sur scène, trop conventionnels sur disque désormais, mais peu de groupes peuvent se targuer d’avoir […]