Le groupe de Sheffield sort son septième album studio aujourd’hui. Bien loin du rock à guitares qui a fait sa réputation, les Anglais livrent un album calme dans la lignée du précédent qui avait divisé les fans. Un cas isolé dans l’histoire du rock ? Evidemment que non. Analyse.
L’exemple des Arctic Monkeys est un éternel recommencement : un groupe qui s’est fait une notoriété avec un type de musique effectue un tournant artistique qui divise. Il y a les « c’est quoi ce son, c’était mieux avant » et les « belle évolution, ça change, bravo les gars« .
C’est donc aujourd’hui la sortie du septième album des Arctic Monkeys, ce groupe qui incarnait la renaissance du rock à guitares en 2006 avec leur premier album explosif.
Forcément, une communauté de fans s’est greffée à ce son hyper rock’n’roll qui s’est enchaîné sur cinq albums jusqu’en 2013. Avec des variantes, des prises de risques déjà en 2009 sur Humbug, ou même en 2013 sur AM qui marquait un son peut-être plus mainstream, ce qui leur a certainement valu une reconnaissance mondiale avec des titres comme Do I Wanna Know ou Are U Mine. Et si des titres de cet album de 2013 annonçaient déjà des envies d’ailleurs pour la bande Sheffield ? Je pense à No 1 Party Anthem, qui n’a d’ailleurs rien d’un hymne de fête. Le groupe lorgnait déjà vers des ambiances plus langoureuses, des ajouts de cordes, une orchestration plus travaillée. I Wanna Be Yours, qui clôturait AM, annonçait sans doute inconsciemment le virage qu’allait prendre le groupe 5 ans plus tard avec Tranquility Base Hotel & Casino.
On est en 2018, changement de décor total pour le groupe qui affiche des compositions lentes, des ambiances suaves et langoureuses, Alex Turner qui pousse son chant à la limite de la caricature du crooner un peu abîmé. Pas de refrain accrocheur, pas de titre dynamique, à l’exemple su single Four Out Of Five. Beaucoup de piano, des synthés vintage, des cordes noyées dans des arrangements parfois excessifs (Golden Trunks). Logiquement, c’est la déroute pour les fans de la première heure. Où sont passées la gouaille et les guitares criantes des débuts ? Le vrai rock’n’roll ? Et on retrouve aussi ceux qui saluent un changement de direction artistique, prouvant le groupe suffisamment mature pour se permettre d’évoluer, au risque d’en laisser sur la route.
Arctic Monkeys : The Car, double album avec Tranquility Base Hotel & Casino ?
Sans surprise, ce nouvel album suit la tendance de l’album précédent. Je pense même qu’il aurait pu faire un combo sur un double album avec Tranquility Base Hotel & Casino. J’avoue ne pas être réellement emballé. Le groupe ne m’embarque pas, la voix maniérée d’Alex Turner m’énerve autant au fil des écoutes que les ajouts de cordes quasi systématiques. Pour autant, j’apprécie ce travail sur les ambiances, le risque d’enfoncer le clou vers une musique peut-être plus cinématographique. Je ne serais même pas surpris que le prochain album s’affiche dans la même veine pour former un triptyque dans leur discographie. Avant de potentiellement évoluer à nouveau ou revenir au son qui ont fait leur réputation.
Mais peut-on en vouloir aux Arctic Monkeys ? Assurément non, et les exemples du passés sont nombreux. Editors vit le même genre de situation, dans un style différent, avec son nouvel album très électro : les fans d’antan crient au scandale, les plus aventureux se réjouissent de voir le groupe évoluer. Exemple ici avec l’un des tubes du premier album : Munich en 2005 et Kiss extrait de leur septième album sorti le 22 septembre dernier.
Beach Boys, Beatles, U2, Blur, Radiohead : les groupes qui ont changé de style
Au final, un groupe n’est-il pas intéressant que s’il évolue ? Pensez-vous que les Beach Boys auraient été dignes d’intérêt s’ils avaient servi du Surfin’ USA pendant 30 ans ? Quand Pet Sounds est sorti en 1966, alors que le groupe était à son apogée, l’album se classe seulement 10ème du Billboard américain. Le premier single est Caroline, No, loin d’être le morceau le plus accrocheur :
Il se classe 32ème du Billboard ! Et God Only Knows, parfois considérée comme l’une des belles chansons de tous les temps, seulement 39ème ! Aujourd’hui, Pet Sounds est considéré comme l’un des plus beaux albums de tous les temps. Alors bien sûr il faudrait creuser le contexte de l’époque, car l’album a eu plus de succès au Royaume-Uni à sa sortie, notamment boosté par Paul McCartney ou même le producteur des Beatles George Martin : « Sans Pet Sounds, il n’y aurait pas eu Sergent Pepper« .
Les exemples de ce type ne manquent pas. Les Beatles aussi ont divisé les fans lors de la parution de Rubber Soul, leur 6ème album en 1966. Ils avaient rencontré Bob Dylan (qui les a initiés au cannabis), Elvis Presley, mais aussi Ravi Shankar. Et dire que cet album est sorti 3 mois après Help!, plutôt facile d’accès. D’ailleurs, Brian Wilson a sorti Pet Sounds pour faire mieux que Rubber Soul ! Quelle histoire ! (Plus de détails sur Brian Wilson et Pet Sounds dans cet article). Voilà à quoi ressemble l’évolution des Beatles en 3 mois dans leur discographie :
Plus « récemment », que dire de Blur qui s’affiche à son apogée britpop en 1995 avec The Great Escape, et qui prendra le monde par surprise avec l’album éponyme de 1997, qui marque une transition en douceur, mais certaine, avant le génial et aventureux 13 en 1999, avec William Orbit à la production. Voilà l’évolution du groupe résumée en 5 ans :
Faut-il parler de U2 avec Achtung Baby en 1991 ? De Radiohead ? Le simple fait d’évoquer le groupe dans ce contexte montre à quel point il est devenu intéressant. Et évidemment non conventionnel. La communauté de fans de Radiohead a évolué, certains les ont lâchés après OK Computer, d’autres y sont arrivés sur les albums plus récents. Quoi de plus légitime ? A l’inverse, je trouve souvent inintéressant les groupes qui se fondent dans la masse. Sans faire du bashing gratuit, je n’éprouve aucun intérêt à écouter Coldplay qui sert la même soupe depuis 10 ans. Idem pour Placebo, même s’ils ont évolué vers un son plus synthétique sur le dernier album. C’est très subjectif certes. Quoiqu’il en soit, que ce soit pour le groupe ou ses « auditeurs », sans forcément être des fans, il est important de noter qu’il y a des phases, qui correspondent à des périodes de vies, des événements personnels, politiques et qui vont donner une couleur à un album. C’est un fait, personne n’est obligé de suivre.