Le confinement a bouleversé le monde artistique. Le monde tout court aussi. Et a aussi permis de réaliser des projets qui ne seraient peut-être jamais sortis en dehors de ce contexte. C’est le cas du groupe The Ruby Tears, un duo basé entre Liverpool et Manchester. Rencontre avec Jeff et John, plus de 120 ans à eux deux, et qui se sont remis à la musique grâce au confinement. Et l’ironie d’une période où, une fois prêt à jouer live, le groupe ne pouvait pas se produire vu que les salles étaient encore fermées. Drôle de monde…
L’histoire débute début 2021 lorsque je reçois une sollicitation de The Ruby Tears sur Groover. Rien que le nom m’inspirait confiance. Gagné ! Je découvre un super titre. Je fais un peu de promo sur les réseaux sociaux, j’ajoute avec plaisir le morceau dans la playlist mensuelle, le groupe me taggue aussi sur quelques posts. On devient potes sur Facebook. Sympa, et ça s’arrête là.
Et puis un soir de juillet 2021, je contacte Jeff pour un projet personnel (dont je pourrai vous parler d’ici la fin d’année j’espère). En discutant, Jeff me raconte rapidement l’histoire du groupe. Au bout de quelques semaines d’échanges, je propose de les interviewer pour en savoir un peu plus. Interviewer un duo de Liverpool/Manchester, je vous laisse imaginer ce que cela représente pour moi…
Contenus de la page
Une collaboration à distance… sans nom !
Je parlais de l’influence du nom sur Groover, mais quand le groupe a commencé, ils avaient déjà trois chansons, mais toujours pas de nom ! Mais finalement, passer au statut de groupe avec un nom a pris cinq minutes. « On cherchait un nom qui aurait pu être chez Stiff Records. Dès qu’il y a « The », ça veut dire qu’on est un groupe ! Ca sonne post punk, ça ressemble à nos influences et pas mal de gens se sont intéressés à notre musique grâce à notre nom. Si ça marche comme ça, c’est gagné ! » John est pragmatique. Stiff Records est un label basé à Londres qui est né au milieu des années 70 et fut racheté par Island en 84. Elvis Costello y signa à ses débuts. Ian Dury, Joe Jackson ou les punks de The Adverts ou The Damned (les pionniers du punk), firent également partie des artistes du label.
Le nom est en effet un bon point de départ pour faire sa promo. Sauf qu’au départ, il n’y avait pas tellement de velléité à vouloir se promouvoir. Le projet est avant tout un défi personnel de Jeff qui avait eu d’autres groupes il y a plus de 30 ans, et qui s’était juré de se remettre à la musique avant 60 ans. Ce fut fait à 58 ! « Honnêtement, personne ne m’a soutenu ou motivé en me disant « mais oui, tu peux le faire‘. Le seul qui m’ait motivé, c’est moi ! Et je me suis dit « mais oui, c’est moi, j’y suis !« . J’aime vraiment cette idée de vouloir réaliser ses rêves, quel que soit son âge.
Adopte un mec (qui veut jouer dans un groupe)
Et c’est dans cette lignée que Jeff passe par un site pour trouver des gens qui seraient prêt à collaborer. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de John, basé à Manchester, et qui lui répond par l’affirmative. C’est d’ailleurs la seule réponse que Jeff aura obtenue ! Et ainsi naissent trois chansons à distance qui deviendront un EP accidentel mais qui pouvait donner de la matière. « On avait été contacté par un DJ qui était intéressé par nos morceaux et on lui disait qu’on n’était pas vraiment un groupe. » Drôle de comble que d’avoir un EP sans vraiment être un groupe ! Mais ça a été un point de départ pour poser les choses sur le net. « On s’est dit, allez on met ça sur Bandcamp et on va voir ce qui se passe. Bon en vrai il ne s’est rien passé. Mais on pouvait se considérer comme un groupe et commencer à bosser sur de nouvelles chansons. » Evidemment, le nom d’un groupe forge sa personnalité, c’est un point de départ indéniable. Mais pas immuable (je pense à On A Friday qui deviendra Radiohead, Seymour qui deviendra Blur). Une fois qu’on avait ça, on voulait en faire beaucoup plus, sans savoir combien de temps allait durer le projet. On échangeait des idées, pas vraiment des chansons, on faisait des reprises, et ça a affiné notre identité » assure Jeff, le liverpuldien. Pourtant c’est bien sous le nom The Ruby Tears que le groupe sort une reprise de Nick Lowe, autre artiste signé chez Stiff Records. « Cette reprise ne nous a pas définis mais nous a aidés pour la suite. Et même jusqu’au fait de réfléchir à se produire sur scène avec 2 autres musiciens. » avoue John.
Transformer la frustration du live en opportunité
Le Covid a mis les groupes de rock à mal. Où sont passés les garages où gît la bière chaude, la sueur et les tatapoum de batterie? Les caves qui voient défiler les jeunes fougueux du larsen ? A vrai dire il n’est pas question de ça avec The Ruby Tears. Certes parce que le groupe est né d’une collaboration à distance, mais aussi parce que les attentes ne sont pas les mêmes à 60 ans ! John est réaliste. « A 20 ans tu veux être numéro 1, meilleur que le groupe voisin. Tu sais quand j’avais 20 ans, je jouais dans un groupe à Bristol, on pensait qu’on était bon (on était juste OK). Mais maintenant on ne pense pas qu’on va conquérir le monde, on se dit juste qu’on adore ce qu’on fait« . Faire ce qu’ils font en ligne est une chose, mais se produire en live devient vite beaucoup plus compliqué. » On était sur le point de faire des concerts, mais le boulot vient se mettre là-dedans, je pars en tournée » se résigne Jeff qui travaille au merchandising de différents groupes, lui qui a déjà été aux côtés de James en 1988 ou encore à Glastonbury ou Oasis à Knebworth.
Et puis on ne sait pas si les salles vont pouvoir accueillir des groupes. C’est booké partout, et on ne peut pas attendre de se dire « ça y est, on est prêts, on pourra jouer en live » donc on se dit qu’on saisit les opportunités. Oui on aurait pu faire comme ça et annuler si on n’était pas prêts finalement. Mais maintenant on est prêt on et on ne peut jouer nulle part ! » Cette frustration fait tout de même avancer, Jeff en est conscient : « Quelque part je trouve qu’elles sont meilleures, plus rock, plus punk. On est sortis des arrangements et de la production pour aller à l’essentiel : 2 guitares, basse et batterie, parfait ! On les a juste ré-arrangées pour les rendre… jouables. Et le truc cool, c’est que personne ne les connaît. Nous y compris ! »
Il est évident que ce travail du live remet un projet en question pour l’aborder autrement que l’approche du studio. C’est bien pour ça que les Beatles n’ont jamais joué Sergent Pepper en concert (outre le fait qu’ils ne faisaient déjà plus de concerts à la sortie de Sergent Pepper.) « Quand t’enregistres, tu n’enregistres jamais la chanson en entier, c’est juste des bouts de morceaux que tu mets ensemble confie John. Ca fait aussi plus de 10 ans que je n’ai plus joué de guitare en live, ce que j’avais l’habitude de faire. » Du côté de Liverpool, Jeff réfléchit au choix des guitares : « Quand j’ai enregistré, il y avait au moins 10 pistes de guitares. Du coup pour le live, je me suis demandé quelle partie il fallait que je prenne. Et il y en a certaines que je ne sais pas jouer telles quelles, donc j’ai dû composer avec un peu avec tout ça pour que ça marche. Alors que pour les 10 pistes de guitare, je ne me suis pas posé de questions. Je les ai jouées, j’ai pris ce qui sonnait bien et voilà. Donc faut qu’on réapprenne tout ça. Better Than Paradise par exemple sonne vraiment bien pour du live » .
L’enthousiasme de Jeff est soutenu par celui de John : « Le live, c’est la suite logique. On a Mark et James qui ont aussi de l’expérience en musique. On est une sorte de gang, un vrai quatuor ! On est toujours plus prêts que la fois d’avant. Même si ça fait un bail que je n’ai pas joué en live. 10 ans ! » Jeff est dans la même situation, ou presque… avec 34 ans sans jouer ! « C’est pour ça que je voulais revenir à la musique. J’étais arrivé à un point où je me disais « quand j’ai 60 ans, je veux être capable de revenir à la musique. J’aurais pu faire ça avec mes projets précédents, mais je ne sais pas forcément ce que les autres sont devenus (peut-être que certains sont morts !) et finalement je me suis dit qu’il fallait recommencer quelque chose de nouveau. »
Commencer un nouveau projet
Justement, commencer quelque chose de nouveau à l’ère du Covid et donc d’internet est une opportunité en or. Partager sa musique est devenu tellement simple actuellement que cela ouvre les artistes à une nouvelle ère (déjà bien entamée !). Jeff, avec son t-shirt Pixies, le dit simplement : « On a partagé Change Your Mind et là le simple fait d’avoir un retour de ta part, donc de l’étranger, où tu nous as dit que tu allais nous mettre dans ta playlist, c’est cool. On n’a pas de vrais fans, juste des gens qui aiment bien ce que l’on fait. » John ne peut qu’acquiescer. « Le streaming te fait passer un cap. Au début, tu partages ça avec ta famille et tes amis et tu les supplies d’écouter ce que tu fais. Mais dès que c’est quelqu’un que tu ne connais pas du tout qui te fait un retour, ça te donne le sentiment que c’est bien réel. On n’est plus à la période où les gens vont chercher à acheter ton disque. Avoir 12 000 streams sur Change Your Mind, c’est absolument insignifiant à l’échelle du numérique, mais pour nous ça change tout ! »
Le groupe comptabilise des streams d »un peu partout dans le monde en dehors du Royaume-Uni : Afrique, Amérique du Sud, Biélorussie. « On peut voir les villes où ça a été le plus streamé et par exemple il y a une toute petite ville en Suisse qui est dans le top 3. Il doit y avoir un mec qui n’arrête pas de nous écouter là-bas !! Ouais, on a un mega fan en Suisse ! Et ça ne serait jamais arrivé si on avait dû sortir des vinyles. C’est une expérience qui nous fait apprendre plein de choses. » se réjouissent les deux compères. Pour autant, notre duo reste bien lucide : « On a utilisé Groover et Soundcampaign. C’est un processus intéressant mais ça n’accomplit rien. Ca l’est dans le sens où ça nous a permis de toucher des gens du monde entier, comme toi par exemple, mais en réalité ça n’a pas changé radicalement. On reste toujours inconnus ! On ne s’attend pas à devenir connus via Spotify. On découvre comment les choses marchent. Des gens nous ont dit « il faut que vous soyez sur Twitter », mais parfois ça me saoule que des gens me disent ce qu’il faut qu’on fasse. Pareil pour Instagram. Ce n’est pas pour ça qu’on le fait. »
La récompense n’est pas dans le nombre de streams ou fans sur les réseaux sociaux. C’est plutôt le fait que ces canaux de communications structurent peut-être le processus global en tant que groupe. « Pour moi la récompense, c’est que je me suis senti meilleur dans l’écriture des paroles, au chant aussi. Je suis plus carré sur mes structures de basse. Et Jeff a une façon de structurer les chansons qui est bien plus élaborée que ce que je faisais de mon côté. J’ai vraiment l’impression de progresser en tant que musicien. » se réjouit John. Jeff va dans le même sens : « Via Groover j’ai discuté avec un gars qui me disait : « on ne peut te relayer que si tu es sur Twitter », donc on s’est mis sur Twitter. Mais aussi on a rencontré d’autres groupes comme Seeds of 77, un groupe de Londres où on s’est dit qu’on aimait bien ce qu’on faisait mutuellement et qu’on pourrait faire des concerts. Même des groupes locaux. C’est cool d’être considérés par nos pairs.«
The Ruby Tears vient d’ailleurs de sortir un nouveau titre très réussi : Picadilly Sunrise.
The Ruby Tears sur Internet
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